David contre Goliath

Certains d'entre vous connaissent peut-être le mont Ventoux, le plus haut sommet du Vaucluse, culminant à quelques 1912 mètres. Samedi 26 août, j'ai gravi le géant de Provence à la force de mes jambes.

Dans le cadre de mon entraînement, j'ai décidé un jour de faire un petit tour passant par Arles et Avignon (cf. Un petit tour et puis s'en va). Lors de cette balade, j'ai pu apercevoir en fond, sur ma droite, une tour blanche et rouge qui me toisait de toute sa hauteur, non sans me rappeler la fusée qui permit à Tintin, en 1953, d'atteindre la Lune. Mon obsession était née.

Dès lors, j'ai cherché le moyen de gravir ce sommet légendaire, tout en évitant de connaître le même sort que Tom Simpson, mort à 29 ans lors du tour de France de 1967. Au fil de mes recherches et discussions avec mes proches, je me suis retrouvé face à un certain dilemme : la qualité toute relative du vélo et du cycliste rendait difficile, voire impossible, la réussite de cette épreuve. Par chance, je ne suis pas sportif. Juste têtu. J'ai donc fait fi des recommandations somme toute raisonnables, et ai décidé d'effectuer le trajet depuis Sault.

En effet, il existe trois chemins "officiels" pour atteindre le sommet du mont Chauve. Attention, nous allons rentrer ici dans un monde de chiffres : 
Depuis Sault : la route que j'ai choisie est longue d'environ 25 km et monte sur 1150 m. On est sur un dénivelé moyen de 4,5 %. Difficile, mais pas impossible.
Depuis Bedoin : la route classique du tour de France. Un poil moins de 23 km de long pour une montée totale de 1622 m, soit un dénivelé moyen de 7,15 %. Là, on ne joue plus.
Depuis Malaucène : la seule route parmi les trois proposées qui permet d'atteindre le sommet par la face Nord. Un peu plus de 21 km de long pour une montée de 1535 m, soit une dénivelé moyen de 7,22 %.
Vu mon état en finissant la route la plus "facile", je ne pense pas tenter les deux autres de si tôt. Têtu, mais pas suicidaire.

Après une tentative avortée pour manque de sommeil, j'ai finalement jeté mon dévolu sur la date du samedi 26 août 2017. Un jour qui en vaut bien un autre. Sachant qu'il me faudrait près d'une heure et demi pour faire la route depuis mon Lambesc pas du tout natal jusqu'à la charmante bourgade de Sault, dans le Haut Vaucluse, je me suis levé ce matin là sur les coups de 6h. Grand bien m'en prit, puisque, la gueule enfarinée, il me faut généralement une bonne heure pour sortir du coma. J'ai préparé mes affaires et, selon les recommandations reçues, j'ai pris un sac à dos en plus, contenant un t-shirt propre et une veste, pour le sommet qu'on me promettait fort froid. Je me suis ensuite habillé un peu chaudement : pantalon (jogging décathlon), débardeur et vieux t-shirt dégueulasse par dessus. Il faut avouer que j'ai une fâcheuse tendance à me vêtir d'habits de piètre qualité pour faire du sport, vu ma propension à transpirer plus abondamment qu'un pédophile dans un jardin d'enfants. Le temps de mettre mon pantalon dans mes chaussettes, et en voiture. J'avais le look du parfait plouc, mais je n'en avais cure. Après tout, la seule personne que j'espérais impressionner lors de cette journée, c'était moi-même. Et je n'ai pas besoin d'être bien fringué pour coucher avec.

Un peu avant 10h, j'arrive à Sault. Détail amusant, j'arrive à trouver une place exactement à l'endroit où partait le trajet que j'avais trouvé sur internet. Quelques minutes me sont nécessaires pour terminer les préparatifs : sortir Lola du coffre, lui remettre la roue avant, changer de chaussures, magouiller et ranger mes affaires, etc. Juste devant la voiture s'étend un petit parc depuis lequel, joie indicible, j'arrive à apercevoir ma destination. Coup du sort ou ironie mordante, je m'aperçois très TRÈS vite que la roue avant de ma monture est voilée. Le vélo couine comme les enfants du jardin susmentionné. Bon ben, ça va être une ascension intéressante.

10h, c'est parti. Avant même le premier coup de pédale, j'ai déjà du retard sur mon planning supposé. Je sais que le record de montée est de moins d'une heure, je vise donc les deux heures et demi, tout en pensant trois. Le début de la route est un peu chaotique. Pas bien réveillé, pas bien échauffé non plus, un peu inquiet par cette roue avant qui grince comme un lit que je n'aurais pas dû quitter, les dix premiers kilomètres s'annoncent crevant. Je m'arrête même au bout de quelques centaines de mètres pour tenter d'arranger la roue, mais rien n'y fera. C'est mon sacerdoce, je le porterai comme un autre barbu célèbre a porté une certaine croix. Le mont Ventoux sera mon Golgotha ! Ok, ok, je calme un peu le côté dramatique, mais il n'empêche que je n'ai pas vraiment bien vécu les premiers kilomètres. Je n'ai même pas pu apprécier le paysage, pourtant fort joli puisqu'il fait passer le long de quelques fermes et champs de lavande.

S'il y a du bon à retirer de tout ça, ce sont les autres cyclistes. Il y a une sorte d'entraide qui se crée sur le chemin, je prends pour exemple cet homme d'âge moyen (mais dont l'équipement laissait à penser qu'il n'en était pas à sa première ascension) qui me donna quelques conseils dans une pente un peu difficile. Il faut dire qu'avec mon accoutrement, je détonnais fortement avec mes "collègues". Attifé comme un clochard, il m'amusait de recenser tous les "vrais" cyclistes qui me dépassaient, maillots officiels du mont Ventoux et vélos de course hors de prix, face à mes habits et vélo décathlon. Mais ce n'est pas le plumage qui fait la valeur du pigeon, et j'avançais quand même, doublant un couple dans une montée.

Au dixième kilomètre, la fatigue l'emportant, je décidais de faire une première pause, en espérant qu'il s'agisse de la dernière également (nope). Et là, surprise ! En descendant du vélo, je me sens bloqué aux reins. J'ai les jambes qui tremblent. La suite de l'ascension s'annonce foutue. Heureusement, quelques courtes minutes passées à m'étirer me redonne une forme paralympique. Au bout de cinq minutes, je repars sur mon fier destrier. Il est un peu moins de 11h.

Est-ce le fait de m'être reposé ou d'être enfin échauffé, toujours est-il que j'ai enfin trouvé mon rythme. La dizaine de kilomètres qui me séparent de Chalet Reynard, la véritable base du mont Ventoux, me paraissent d'une facilité déconcertante. Je me permets même parfois de repasser sur le plus petit braquet (la vitesse la plus "dure"). Les paysages que je vois défiler devant mes petits yeux fatigués sont d'une grande beauté, soulevée par ma fierté grandissante de les avoir parcourus à la force des jambes. Au loin, déjà, j'aperçois le sommet.

L'arrivée à Chalet Reynard remet une bonne dose d'humilité dans mes idées de grandeur. Je comprends que si les 20km passés m'avaient semblé à la fois difficiles et faciles, on était là devant un autre monsieur. Le Ventoux en impose. Je vois les véritable montées jusqu'au sommet, et j'avoue un moment d'hésitation. Est-ce que je vais y arriver ? Aussitôt, je chasse mes doutes de mon esprit. Je me suis pas tapé tout ce chemin pour abandonner devant le terrier de la bête. Le géant me regarde, je le regarde, il ne me fera pas baisser les yeux. Pieds sur les pédales, je commence l'ascension !
A partir d'ici, je ne fais plus le malin. 6 km me tendent les bras, avec 500 m de dénivelé positif. On est sur des côtes entre 6 et 10,5 %, bien sûr de plus en plus raides. Premiers vrais moments de fierté (mal placée), je commence à véritablement doubler des vélos de courses, non pas par ma vitesse, mais par mon obstination. Qu'ils soient à l'arrêt ou en train de pousser leur vélo, je les laisse sur le côté et continue mon ascension. Devant mon apparence atypique et surtout la gueule de ma monture, je reçois des encouragements de la part d'autres cyclistes mieux équipés, dont l'un d'eux qui me félicitera carrément : "Bravo, parce que là, la montée est bien raide". Le temps de lui lancer un "je confirme", je me rends compte qu'il vaut mieux économiser mon souffle.

Sur le sol, et depuis pas mal de kilomètres, je peux lire régulièrement des messages d'encouragement destinés à telle ou telle équipe, à "Papy René", à "Romain", à "Ninou". Aucun encouragement pour le petit Mathieu, mais je m'en fous, je m'auto-gueule dessus. Allez, tu peux le faire ! Et si tu peux le faire, tout le monde peut le faire ! Tu vas pas t'arrêter là quand même ! Sors-toi les doigts et pédale !

J'avoue avoir dû effectuer deux trois pauses sur ces 6 km. Elles étaient nécessaires. Je me suis notamment arrêté quelques minutes au pied de la stèle du susmentionné Simpson. Le temps de rendre un hommage d'un signe de la tête, et je repars.

13h. J'atteins enfin le sommet. A mes côtés, je vois les autres cyclistes commencer à garer leur vélo, pas moi. Je continue pour m'arrêter enfin au pied de l'antenne hertzienne qui avait capté mon regard un mois plus tôt. Je l'ai fait. J'ai réussi. Deux heures et trente sept minutes de pédalages (je compte pas les pauses). Environ six mille litres de transpiration. Surement plusieurs milliers de coups de pédales. Je l'ai fait. Et comme vous pouvez le voir, je suis tout à fait trop pas fatigué :D

Le temps de me changer en vitesse, et je fais un tour pour admirer la vue. Et en effet, c'est beau. 

Je vous passe sur l'heure de repos que je me suis accordée, et surtout sur le bon gros quart d'heure de merde passé à régler un problème sur le dérailleur. C'est intéressant d'un point de vue personnel (et encore), mais vous en avez sûrement rien à foutre, ce que je peux comprendre. 

Moralité de toute ce merdier ? J'ai commencé à faire du vélo un peu sérieusement le 11 juin. Je n'étais plus vraiment monté sur un vélo pendant trois ans. Deux mois et demi plus tard, me voici en haut du mont Ventoux à la force de mes jambes. Dans ma petite vie, j'ai accompli certains trucs dont je suis fier, et c'est amusant de voir que ce qui me rend le plus fier est toujours l'ascension d'une montagne. Le mont Fuji à pattes pendant l'été 2008, et maintenant, le mont Ventoux à vélo en été 2017. 

Et ce n'est qu'un début.

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